Interview de Daniel PIERRE, Président du pôle de compétitivité DREAM Eau & Milieux qui oeuvre, avec son réseau d’acteurs d’entreprise, de la recherche et de la formation, pour être à la hauteur des enjeux de l’eau par la promotion de l’innovation..

Aujourd’hui, quels sont les enjeux relatifs à l’eau ?

 

Encore un non-sujet pour certains il y a quelques années, l’eau est désormais au coeur des préoccupations. C’est un enjeu majeur pour les prochaines décennies, un impératif croissant au vu des changements globaux que l’on connaît : le dérèglement climatique et les catastrophes naturelles mais il y a aussi la pression démographique mondiale. Sur les 30 dernières années, les besoins en eau ont été multipliés par deux, tous usages confondus. En 2050, ils auront encore augmenté de 10 à 12 %. Il est important de rappeler que 97,5 % de l’eau disponible sur Terre c’est de l’eau de mer et près de 2,5 % de l’eau douce. La production d’eau potable, les écosystèmes continentaux, l’agriculture et les usages reposent donc sur ces 2,5 % d’eau douce. 

Avec le changement climatique, on constate qu’il y a des territoires de plus en plus arides et cette tendance va continuer. En France, ce n’est pas qu’il pleut moins mais cette quantité d’eau va tomber sur une période encore plus resserrée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et l’imperméabilisation des surfaces ne permet pas à l’eau de s’infiltrer comme elle le devrait. Enfin, les températures moyennes ayant d’ores et déjà augmentées, il y a plus d’évapotranspiration (évaporation via les plantes) et donc moins de précipitations efficaces (eau disponible pour nos rivières et nos nappes).

Le pôle DREAM Eau & Milieux est au cœur des enjeux de la ressource en eau. Il stimule et soutient l’innovation en favorisant l’émergence de projets innovants, contribue à relever les défis qui impactent l’organisation de la société et sont de nature à fragiliser son économie. Le pôle accompagne ainsi le développement et la croissance de ses entreprises adhérentes grâce à la mise sur le marché de nouveaux produits, services ou procédés issus de ces projets de recherche.Basé à Orléans en région Centre-Val de Loire, le pôle intervient également en régions Pays de Loire et Bretagne. Aujourd’hui, DREAM fédère un réseau de plus de 100 membres actifs.

En Centre-Val de Loire, on compte 170 000 ha de surface urbanisée, c’est potentiellement 300 millions de m3 d’eau qui ne s’infiltre pas, ce qui représente près la moitié de notre consommation tout usage confondu. Il faut donc agir pour ralentir cette réponse hydrologique en désimperméabilisant et en forçant l’infiltration de l’eau lorsque cela est possible afin de favoriser la présence de zones humides et l’alimentation de nos nappes. Car l’une de nos spécificités régionales, c’est  que l’on dispose d’une certaine richesse en termes de milieux aquatiques remarquables, avec l’axe Loire, la Sologne, la Brenne… Nous avons  également la chance d’avoir des nappes souterraines – ce qui n’est pas le cas de tous les territoires – dont certaines sont de très grande extensions, telle la nappe de Beauce qui est la plus grande et la plus large extension d’Europe.

Néanmoins, une bonne partie du territoire est en ZRE (Zone de Répartition des Eaux), ce qui signifie que l’on connait des déficits chroniques. En plus de ce problème quantitatif, à certaines périodes de l’année le problème c’est aussi la qualité. Aujourd’hui, seuls 20 % de nos masses d’eau de surface sont en bon état écologique.

Quels sont les impacts sur les usages, en particulier pour les acteurs économiques du territoire ?

 

En France, des petites communes se sont retrouvées, ces dernières années, confrontées à des ruptures d’alimentation en eau potable les obligeant à mobiliser des camions-citernes pour assurer l’approvisionnement. Les communes plus importantes sont moins impactées car elles disposent plus de moyens et sont interconnectées entre elles permettant de diversifier les sources d’approvisionnement. Ces épisodes « nouveaux » modifient la perception du citoyen qui se rend compte, que même dans notre région, il peut y avoir des problèmes de production d’eau potable, ce qui était inimaginable jusqu’alors. Il y a une prise de conscience de la fragilité de cette ressource.

80 % des activités économiques ont besoin, de près ou de loin, d’eau

S’agissant des acteurs économiques, les premiers à l’avoir constaté, ce sont les agriculteurs. Avec des vendanges et des récoltes de plus en plus précoces, des arrêtés d’interdiction d’irrigation…, le secteur a déjà engagé des évolutions pour mieux s’adapter à ces changements et ainsi limiter les pertes de revenus. Avec le soutien de la Chambre d’Agriculture et de la communauté scientifique, une recherche est menée en matière de diversité variétale, de cultures qui consomment moins d’eau, de technologies pour une irrigation de précision ou pour développer des réserves de substitution… Pour autant il y aura toujours besoin d’eau. Une illustration de ces changements, c’est qu’en Centre-Val de Loire, désormais on fait pousser du lavandin et des coopératives ont investi dans des unités de distillation adaptées. Adaptation et changement de pratiques, recherche scientifique pour sélectionner des cultures plus sobres, développement des Mesures AgroEnvironnementales et Climatiques (MAEC), le champs des actions à mener est encore très important.

Dans le secteur industriel, et notamment agroalimentaire, la question de l’eau se pose déjà depuis plusieurs années en tant que facteur de risque pour la production. Les industriels cherchent à faire des économies d’eau, pas seulement pour une question de prix mais pour être le moins dépendant possible vis-à-vis de cette ressource. Les actions engagées visant à anticiper les situations de non accès à l’eau, qui entraineraient un arrêt de la production, ainsi que les difficultés inhérentes au rejet des eaux usées traitées dans le milieu naturel. 

De plus en plus d’acteurs industriels prennent en compte la dimension de l’eau dans leur stratégie d’implantation et de développement. Initialement demandés sur commande publique, les outils de prédiction relatifs à l’eau (projections à 20 ans du niveau des rivières, capteurs, prélèvements d’eau…) sont désormais plébiscités par les industriels qui veulent identifier les endroits et les périodes de débit insuffisant pour leur production et ainsi mieux définir les solutions et les investissements adéquats.Enfin, les industriels appréhendent également l’eau comme un facteur d’image important dans le cadre de leur politique RSE de plus en plus importante et visible. Comme il y a eu l’apparition du Nutri-score, on aura un jour un « Water index ».

Dans les 20-30 prochaines années, les territoires seront partagés, d’un point de vue économique, entre ceux qui ont de la ressource en eau ou sont capables d’en créer et ceux qui n’en ont pas.

Daniel PIERRE, Président du pôle DREAM Eau & Milieuxet Directeur de la Recherche et de l’Innovation ANTEA Group

Selon vous, quels leviers peuvent être actionnés pour optimiser la gestion de l’eau ? 

 

Le « reuse », ou réutilisation des eaux usées traitées, apparaît comme une solution miracle. Aujourd’hui en France, nous sommes à peine à 1 %. Cela peut en effet être une solution dans certains cas mais on ne peut pas en faire partout. Si on recyclait toutes les eaux de nos stations d’épuration, l’été il n’y aurait plus d’eau dans nos rivières. Et l’effet pervers de créer de la ressource, c’est que l’on continue d’augmenter la demande et finalement on fragilise nos territoires.

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de solution unique. Pour autant, il y a bien deux axes à actionner. Tout d’abord, celui de la sobriété qui passe par de la recherche scientifique, des sélections variétales, des procédés nouveaux qui consomment moins d’eau… Le 2e axe, c’est la création de ressource qui peut se traduire par du recyclage là où on peut le faire via des technologies (ultrafiltration…), des solutions fondées sur la nature (recréer des zones humides, des zones de rejet végétalisées pour tamponner les eaux…), des dispositifs de recharge artificielle maîtrisée de nos nappes, forcée ou naturelle. Le fait de revégétaliser la ville et de désimperméabiliser permet également de lutter contre les îlots de chaleur et à l’eau de s’infiltrer. En zone rurale, recréer des infrastructures agroécologiques – haies, noues… – pour là encore améliorer l’infiltration et la recharge des nappes. 

Dans ce contexte de raréfaction de la ressource en eau, nous disposons en Centre-Val de Loire de sérieux atouts pour réussir le défi qui s’annonce. Fortes des caractéristiques du territoire, les acteurs présents – et notamment un important tissu académique (Universités d’Orléans et de Tours, CNRS, BRGM, INRAe…) et des entreprises reconnues (CFG, Antea group…) – donnent les compétences et les moyens à la région de travailler sur ces nécessaires transitions : hydriques, écologiques, énergétiques… et d’œuvrer sous l’angle « adaptation au changement climatique » tout comme « atténuation ». De plus, parmi les énergies renouvelables, il y a encore un potentiel important en matière de géothermie à développer en région.

Je reste confiant car le Centre-Val de Loire a tous les atouts pour parvenir à ces objectifs. Les premières Assises régionales de l’eau, qui viennent de se dérouler à Tours, confirment encore l’engagement du territoire sur la question de l’eau. Cet événement, organisé par la Région Centre-Val de Loire pourrait être une première étape, structurante et fondatrice dans la prise de compétence en matière d’animation et concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau. Il faut véritablement placer l’enjeu de l’eau au cœur des territoires et de leurs stratégies de développement. L‘ensemble des parties prenantes présentes – élus,  représentants du monde économique, associatif…- a pu s’emparer de ce sujet dans l’objectif de construire collectivement un projet de gestion durable et de partage optimisé de la ressource. La collectivité au sens large doit désormais se structurer et engager ces stratégies sur l’ensemble des territoires. Nous avons la chance pour cela d’avoir aussi une taille de région et une proximité entre les acteurs pluridisciplinaires qui nous permettra d’être plus facilement efficient.

En savoir plus

  • En moyenne, près de 580 Mm3 d’eau (toutes origines confondues) sont consommées en Centre-Val de Loire, principalement pour l’irrigation et la production d’énergie, tout comme cela est le cas à l’échelle nationale
  • A l’échelle nationale, 3 % des eaux renouvelables sont consommés annuellement
  • En Centre Val de Loire, 3 % des eaux renouvelables sont consommés (en intégrant les apports de la Loire)

Source : Assises régionales de l’eau Centre-Val de Loire